Congés payés et arrêts maladie d’origine non – professionnelle : revirement de jurisprudence

mercredi 15 novembre 2023

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Par trois décisions du 13 septembre 2023, qui constituent un revirement majeur, la Chambre sociale de la Cour de cassation a écarté l’application des dispositions du Code du travail en matière d’acquisition des congés payés pendant les arrêts maladie d’origine non professionnelle à la faveur du droit européen. Depuis cette série d’arrêts, tout arrêt de travail pour maladie ou accident, qu’il soit d’origine professionnelle ou non et quelle que soit sa durée, doit ouvrir droit à l’acquisition de droits à congés payés. Une interprétation stricte de la jurisprudence devrait conduire les employeurs à recalculer les droits à congés payés de leurs salariés en arrêt maladie à la fois pour la période d’acquisition en cours mais également pour les périodes antérieures. En tout état de cause, en l’absence d’intervention du Législateur, ces arrêts constituent la source d’une importante insécurité juridique pour les employeurs.

L’incompatibilité du droit du travail français au droit européen

Jusqu’alors, des divergences existaient entre le droit de l’Union européenne et le droit français sur les modalités de calcul des droits aux congés payés que les salariés acquièrent chaque année.


Les dispositions du Code du travail

Selon l’article L.3141-3 du Code du travail, les salariés ont droit à 2,5 jours de congés payés par mois de travail effectif. L’acquisition des jours de congés payés est donc soumise à la condition de l’accomplissement d’un travail effectif.

L’article L. 3141-5 du même code, qui énumère les périodes assimilées à du travail effectif et permettant l’acquisition de droits à congés payés, opère une distinction entre les périodes de suspension du contrat de travail qui ont pour cause un accident ou une maladie d’origine professionnelle et celles qui ont pour cause un accident ou une maladie d’origine non professionnelle.

En effet, l’article susvisé retient comme périodes assimilées à du travail effectif et permettant l’acquisition de droits à congés payés les seules périodes de suspension du contrat de travail qui ont pour cause un accident ou une maladie d’origine professionnelle.

Ainsi, l’article L. 3141-5 du Code du travail interdit au salarié d’acquérir des droits à congés payés durant son arrêt de travail lorsque ce dernier a pour cause un accident ou une maladie d’origine non professionnelle.


Les dispositions de la directive européenne

L’article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 de l’Union Européenne prévoit pour sa part un droit à 4 semaines de congés payés par an, sans faire aucune distinction entre l’origine professionnelle ou non des accidents et maladies, ni leur durée.

Cependant, pour produire des effets en droit français, encore faudrait-il que la France transpose cette directive dans son droit interne, chose que le législateur français n’a pas fait jusqu’à présent.

Par une décision du 6 novembre 2018 (affaire C-684/16), la Cour de justice de l’Union Européenne a cependant précisé que l’article 31§2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne, aux termes duquel tout travailleur a droit « à une période annuelle de congés payés », peut être directement invoquée par un salarié et, de ce fait, le juge national doit écarter la réglementation nationale dès lors qu’elle n’est pas conforme à l’article 31§2 de la Charte précitée.

Cette décision de 2018 s’inscrit dans une jurisprudence européenne constante qui considère qu’il ne peut y avoir aucune distinction possible entre les salariés en situation de maladie et les autres travailleurs en matière de congés payés (CJCE, arrêt du 20 janvier 2009, Schultz-Hoff e. a., C-350/06, points 37 à 41).


Le revirement de jurisprudence de la Cour de cassation

Il faut nécessairement relever l’attentisme du Législateur en la matière, car la directive 2003/88CE précitée n’a jamais été transposée, alors même que la Cour de cassation appelle à une mise en conformité du droit français depuis maintenant 10 ans dans ses rapports annuels.

Saisie de deux pourvois invoquant l’application du droit de l’Union Européenne, trois arrêts de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 13 septembre 2023, soumis à une large publication, ont tiré des conséquences de cette évolution de la jurisprudence européenne apportée par la décision du 6 novembre 2018 (affaire C-684/16 précitée) et jugé nécessaire de mettre en conformité sa jurisprudence relative au calcul du droit aux congés payés avec la réglementation de l’Union Européenne, tout en maintenant le droit annuel à 5 semaines de congés payés.

Par un contrôle de conformité, la Cour de cassation a écarté l’application des articles L. 3121-3 et L. 3141-5 du Code du travail, contraires au droit de l’Union Européenne, en considérant que les absences en raison d’accidents ou de maladies non professionnelles doivent être intégrées dans le calcul des droits à congé payé.

La Cour de cassation écarte également la limite d’une durée ininterrompue d’un an pour les périodes d’absence pour accident du travail ou maladie professionnelle et considère même que le délai de prescription d’une demande d’indemnité de congé payé commence à courir lorsque l’employeur a pris les mesures nécessaires pour permettre au salarié d’exercer effectivement son droit à congé payé.

Cette obligation de régulariser ne concerne cependant que les jours acquis pendant les arrêts maladie d’origine non professionnelle et non pas les congés ouverts au titre de l'année de référence et qui n’ont pas été pris par les salariés. Sauf disposition conventionnelle ou engagement unilatéral de l’employeur autorisant un report, ces jours sont en principe perdus.


Conséquence pour les entreprises

A l’évidence, la jurisprudence issue des arrêts du 13 septembre 2023 est source d’importante insécurité juridique pour les entreprises, car une interprétation stricte devrait les conduire à recalculer les droits à congés payés de leurs salariés en arrêt maladie à la fois pour la période d’acquisition en cours mais également pour les périodes antérieures.

Toutefois, la portée de ces arrêts ne doit pas être surestimée car, contrairement à sa jurisprudence antérieure, la Cour de cassation s’est cette fois ci appuyée sur la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, alors que l’article 31 de ce texte ne pose qu’un principe général à son second alinéa (à savoir que « tout travailleur a droit à (...) une période annuelle de congés payés »), sans prévoir quetelle ou telle période doit permettre l’acquisition ou non de droits à congés payés.

Rappelons de plus que, conformément au principe de séparation des pouvoirs et aux dispositions de l’article 5 du Code civil, il est défendu aux juges de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises. Ainsi, aussi influentes soient elles, les décisions rendues par la Cour de cassation n'ont en principe d'effet qu'à l'égard des parties à l'affaire.

Par conséquent, même s’il ne faut pas nier l’importance des effets de ce revirement de jurisprudence dans le cadre d’un contentieux prud’hommal portant sur l’acquisition des droits à congés payés, il serait excessif de vouloir régulariser de manière automatique l’ensemble des compteurs de jours de congés des salariés a fortiori de manière rétroactive.

En effet, l’intervention du Législateur paraît absolument nécessaire et devrait, dans un souci de sécurité juridique, permettre de concilier droit européen et droit français comme ce fût notamment le cas concernant les conventions de forfait annuel en jours.