Présomption de démission en cas d’abandon de poste

mercredi 31 mai 2023

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L’abandon de poste constitue le fait, pour un salarié, de ne plus se rendre volontairement sur son lieu de travail, sans motif valable. Avant la réforme, cette pratique permettait aux salariés de contourner la démission en se faisant licencier pour faute, afin de bénéficier d’une indemnisation de la perte de leur emploi par l’assurance chômage. Selon les données de la Dares, au 1er semestre 2022, 70% des licenciements pour faute grave étaient motivés par un abandon de poste, soit plus de 123 000 salariés du secteur privé.

Définitivement adoptée le 17 novembre 2022 (applicable à partir du 23 décembre 2022), la loi « Marché du travail » institue une présomption de démission en cas d’abandon de poste du salarié. Ce changement était attendu car l’abandon de poste était devenu une véritable stratégie permettant au salarié désireux de quitter son poste de profiter des avantages liés au licenciement.

Connu de longue date, ce « vide juridique » relatif à l’abandon de poste a été appréhendé par le Législateur dans le cadre d’un amendement à la loi pour le plein emploi afin de répondre à un impératif d’efficacité économique mais également dans un soucis d’équité face à une fraude qui se faisait au détriment des employeurs et de la collectivité nationale.

Pris en application de la loi précitée, le décret n°2023-275 du 17 avril 2023, applicable depuis le 18 avril 2023, ne permet plus au salarié de bénéficier de l’indemnisation délivrée par l’assurance chômage lorsqu’il abandonne son poste, cette initiative s’analysant désormais comme une démission.

Celle-ci est présumée, à défaut pour le salarié d’avoir repris son poste ou d’avoir justifié de son absence par un motif légitime.

Le Conseil constitutionnel a déclaré la loi conforme aux dispositions de la Constitution dans une décision n°2022-844 du 15 décembre 2022.


Situation antérieure

Antérieurement à la réforme relative à l’abandon de poste, le salarié qui souhaitait quitter son emploi sans démissionner afin de bénéficier des indemnités relatives au licenciement et de l’indemnisation de l’assurance chômage pouvait choisir de ne plus se rendre sur son lieu de travail et de laisser l’employeur en tirer les conséquences.

L’employeur se voyait alors dans l’obligation de rompre le contrat de travail par le biais d’un licenciement disciplinaire.

La rupture du contrat ne résultant pas de l’initiative du salarié, celui-ci était considéré comme en situation de chômage involontaire aux yeux de Pôle emploi et bénéficiait de l’allocation d’aide au retour à l’emploi.

Jusqu’ici, la jurisprudence, sans définir réellement l’abandon de poste, admettait qu’il justifiait le licenciement du salarié pour faute, voire pour faute grave selon les circonstances. Par exemple, la Chambre sociale de la Cour de cassation a pu caractériser de faute grave justifiant un licenciement l’abandon de poste injustifié d’un salarié pendant 40 minutes ; le motif présenté par ce dernier étant la nécessité de sa laver les mains ne saurait constituer un motif légitime d’abandon de poste. (Cass. Soc. 18 novembre 2009, n°08-43.473, plus récemment Cass. Soc. 2 novembre 2016, n°15-15.164).

Pour autant, la Cour de cassation n’a jamais admis que l’abandon de poste sans explications ou justificatifs pouvait caractériser la volonté claire et non équivoque du salarié de démissionner (Cass. Soc. 17 novembre 2009, n°98-42.072).

Face à cette situation, l’employeur qui, soudainement, ne pouvait plus compter sur l’un de ses salariés, était contraint d’initier une procédure disciplinaire compliquée et couteuse, en particulier pour les petites entreprises. La procédure disciplinaire exposait aussi l’employeur à une condamnation devant le Conseil de prud’hommes s’il omettait des respecter le formalisme adéquat.

L’abandon de poste constituait tout autant un risque important pour le salarié, qui pouvait être privé de toute rémunération pendant 2 mois, dans l’attente de son licenciement par son employeur.


La réforme

Le nouvel article L. 1237-1-1 du Code du travail prévoit désormais que « tout salarié qui a abandonné volontairement son poste et qui ne reprend pas le travail, après avoir été mis en demeure de justifier son absence et de reprendre son poste, par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge, dans le délai fixé par l’employeur, est présumé avoir démissionné à l’expiration de ce délai ». Cette nouvelle disposition a clairement pour objectif de limiter le recours à l’abandon de poste par le salarié.

Pris en application des dispositions légales précitées, l’article R. 1237-13 du même code prévoit que le délai permettant au salarié de justifier son absence ne peut être inférieur à 15 jours et qu’une absence peut être justifiée notamment pour des raisons médicales, l'exercice du droit de retrait, l'exercice du droit de grève ou encore le refus du salarié d'exécuter une instruction contraire à une réglementation ou la modification du contrat de travail à l'initiative de l'employeur. Cette liste n’étant pas exhaustive, elle pourra être complétée prochainement par la jurisprudence.

Le salarié aura toujours l’opportunité de contester la rupture de son contrat de travail sur le fondement de cette présomption en saisissant le Conseil de prud’hommes qui statuera dans un délai d’un mois à compter de sa saisine.

L’article R1237-13 du Code du travailprécise dans ce sens que « dans le cas où le salarié entend se prévaloir auprès de l'employeur d'un motif légitime de nature à faire obstacle à une présomption de démission […] le salarié indique le motif qu'il invoque dans la réponse à la mise en demeure précitée. »


Les précisions de l’administration du travail

Cette nouvelle présomption de démission soulève de nombreuses questions, tant théoriques que pratiques. Afin d’y répondre, le Ministère du travail a mis en ligne le 18 avril 2023 un « questions-réponses » spécialement dédié aux problématiques liées à cette réforme.

Le Ministère du travail y précise notamment que l’employeur n’est pas dans l’obligation de mettre en demeure le salarié qui a volontairement abandonné son poste. L’employeur peut choisir de conserver le salarié dans ses effectifs, le contrat de travail du salarié est alors suspendu ; la rémunération du salarié n’est donc pas due.

Mais le « question-réponses » formule une autre précision qui est, à date, sujette à controverse. Il y est indiqué que l’employeur ne dispose plus de l’opportunité de sanctionner le salarié lorsque ce dernier abandonne volontairement son poste et qu’il est dans l’obligation de mettre en œuvre la procédure de mise en demeure relative à la présomption de démission :"si l’employeur désire mettre fin à la relation de travail avec le salarié qui a abandonné son poste, il doit mettre en œuvre la procédure de mise en demeure et de présomption de démission. Il n’a plus vocation à engager une procédure de licenciement pour faute".

Il en résulterait alors que l’employeur n’a plus d’autre possibilités que de suivre la nouvelle procédure. Cette interdiction de licencier le salarié lorsqu’il abandonne volontairement son poste est une position du Ministère du travail qui ne ressort d’aucun texte légal ou réglementaire. Cette position ferme la porte à toute mesure disciplinaire à l’encontre d’un salarié qui abandonne son poste.

Entrainant de lourdes conséquences sur l’indemnisation du salarié, le Conseil d’Etat a été saisi le 27 avril 2023 d’un recours pour excès de pouvoir contre cette précision qui va à l’encontre du texte réglementaire. Sa décision n’a pas encore été rendue et est bien sûr très attendue.