Bénéficiaires effectifs : le secret des affaires bientôt rétabli ?

lundi 30 janvier 2023

Bénéficiaires effectifs : le secret des affaires bientôt rétabli ?

L’anonymat dans la détention du capital des sociétés commerciales a été sacrifié sur l’autel de la transparence et de la lutte contre le blanchiment.

Depuis le 14 février 2020 en France, schématiquement, n’importe qui peut connaître l’identité des personnes physiques détenant directement ou indirectement le pouvoir ou plus de 25% du capital d’une société.

Ce jusqu’auboutisme dans la transparence nuit gravement à la bonne marche des affaires tant il est vrai que la bonne fin de certaines opérations -parfaitement légales- requièrent la confidentialité et l’anonymat. D’aucun par ailleurs peut légitimement souhaiter que le public n’ait pas accès au détail des participations qu’il détient dans le capital de telle ou telle société.

La Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) vient opportunément de rétablir une plus juste mesure entre les impératifs contradictoires de transparence, de lutte contre la délinquance financière et de secret des affaires.

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La CJUE par un arrêt rendu le 22 novembre 2022 invalide en effet tout dispositif imposant que soient rendues accessibles au grand public certaines données sur les bénéficiaires effectifs.

Elle juge qu’un tel dispositif est incompatible avec le droit au respect de la vie privée et familiale ainsi qu’avec le droit à la protection des données à caractère personnel (droits prévus aux articles 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne).

A l’origine de l’arrêt de la CJUE, deux affaires concernaient l’article 2 de la loi luxembourgeoise du 13 janvier 2019 instituant un Registre des bénéficiaires effectifs « qui a pour finalités la conservation et la mise à disposition des informations sur les bénéficiaires effectifs des entités immatriculées. »

Deux sociétés, WM (affaire C‑37/20) et Sovim SA (affaire C‑601/20) avaient demandé au Luxembourg Business Registers (LBR), l’équivalent du registre du commerce et des sociétés français, de revenir sur sa décision de refuser d’empêcher l’accès du grand public aux informations relatives, d’une part, à la qualité de WM de bénéficiaire effectif d’une société civile immobilière et, d’autre part, au bénéficiaire effectif de la Sovim SA.

Face au refus du LBR, les sociétés WM et Sovim SA ainsi que leurs bénéficiaires effectifs l’avaient attrait devant le tribunal d’arrondissement de Luxembourg. Celui-ci a préféré surseoir à statuer et interroger la CJUE, lui soumettant certaines questions préjudicielles.

Le dispositif luxembourgeois n’est pas une exception au sein de l’Union européenne puisque la Directive (UE) 2018/843 du Parlement et du Conseil du 30 mai 2018, dite anti-blanchiment, dispose en son article 1er, 15), c), que « Les États membres veillent à ce que les informations sur les bénéficiaires effectifs soient accessibles dans tous les cas (…) c) à tout membre du grand public ».

Ainsi, en droit français, l’article L561-46 du Code Monétaire et Financier dispose depuis le 14 février 2020, en ses alinéas 1 et 2, que :

« Les sociétés et entités mentionnées au 1° de l'article L. 561-45-1 déclarent au registre du commerce et des sociétés, par l'intermédiaire de l'organisme mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 123-33 du code de commerce, les informations relatives aux bénéficiaires effectifs. Ces informations portent sur les éléments d'identification et le domicile personnel de ces bénéficiaires ainsi que sur les modalités du contrôle que ces derniers exercent sur la société ou l'entité.

Seules sont accessibles au public, les informations relatives aux nom, nom d'usage, pseudonyme, prénoms, mois, année de naissance, pays de résidence et nationalité des bénéficiaires effectifs ainsi qu'à la nature et à l'étendue des intérêts effectifs qu'ils détiennent dans la société ou l'entité ».

La CJUE juge dans son arrêt du 22 novembre 2022, que « cette mise à la disposition du grand public (…constitue un traitement de données à caractère personnel relevant de l’article 8 de la Charte » et que « l’accès de tout membre du grand public [aux données relatives aux bénéficiaires effectifs] affecte le droit fondamental au respect de la vie privée, garanti à l’article 7 de la Charte ».

La CJUE rappelle ensuite sa jurisprudence constante selon laquelle « la mise à disposition de données à caractère personnel à des tiers constitue une ingérence dans les droits fondamentaux consacrés aux articles 7 et 8 de la Charte, quelle que soit l’utilisation ultérieure des informations communiquées ».

La CJUE invalide ainsi tout dispositif imposant « l’accès du grand public aux informations sur les bénéficiaires effectifs [en ce qu’il] constitue une ingérence grave dans les droits fondamentaux consacrés aux articles 7 et 8 de la Charte », ingérence qui ne saurait être considérée ni comme « limitée au strict nécessaire », ni comme proportionnée.

Souhaitons que le législateur français tire au plus vite toutes les conséquences de cet arrêt.

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