L'expatrié, le courtier et l'escroc

lundi 09 janvier 2023

L’un de nos clients, un ingénieur expatrié aux Etats-Unis, avait mandaté une société française de courtage en prêts immobiliers pour lui présenter des solutions de refinancement d’un contrat de prêt immobilier in fine d’un montant nominal de 1.800.000€.


Cette société de courtage avait présenté à notre client un crédit proposé par Becofinancement, une prétendue succursale italienne d'un soi-disant fonds d’investissement domicilié au Liechtenstein, géré par un italien résidant apparemment au Luxembourg.


Des escrocs avaient créé un site web – www.becofinacement.com – et se faisaient passer pour BeCofin Trust reg., un trust régulièrement immatriculé au Liechtenstein.


Il s’agissait d’une proposition de prêt très singulière puisqu’elle prévoyait, comme condition de déblocage des fonds, le versement préalable d’un apport financier par notre client de pas moins de 100.000€ sur un compte prétendument séquestre d’un avocat italien. Etaient également prévues d’étranges garanties au bénéfice de la société Becofinancement (nantissement secondaire de contrats d’assurance-vie, cautionnement de notre client par lui-même…).


Bien qu’hésitant, notre client, rassuré par le courtier en crédit professionnel a donc versé son « apport » sur un compte bancaire dont les coordonnées lui ont été fournies par un avocat italien. Cet « apport » ne lui a pas été restitué, et les fonds devant être prêtés n’ont finalement jamais été versés.


Becofinancement n’avait en effet aucune existence réelle et l’avocat italien domicilié en Suisse, non signataire du Contrat de Financement, simple intermédiaire, n’était en réalité séquestre d’aucune somme d’argent.


La société de courtage en prêt immobilier, qui est pourtant intervenue en qualité d’intermédiaire en opérations de banque et services de paiement (IOBSP) conformément aux dispositions du Code monétaire et financier, n’a jamais vérifié le caractère sérieux de Becofinancement ni consulté le registre des agents financiers agréés.


Pire, quelques jours avant l’opération, l’Autorité des Marchés Financier du Liechtenstein avait publié en ligne une mise en garde avertissant que les opérateurs du site becofinancement.com se faisaient passer pour un trust financier dénommé BeCoFin Trust reg., et que Becofinacement n’était titulaire d’aucun agrément.


Accessoirement, le contrat de financement, même s’il était soumis au droit italien, ne respectait pas les dispositions du Code de la consommation puisqu’il ne mentionnait pas le délai de rétractation de 14 jours applicable aux contrats conclus à distance et hors établissement prévu à l’article L221-18 du Code de la consommation.


L’escroc a finalement été arrêté en Italie pour une affaire de rip deal. Notre client a porté plainte. Notre Cabinet lui a conseillé de ne pas se restreindre à la procédure pénale, et de s’économiser une procédure contre l’avocate italienne établie en Suisse.

Plutôt que de chercher à engager sans garantie de succès des procédures longues et couteuses à l’étranger, notre Cabinet a suggéré d’engager devant les tribunaux français la responsabilité professionnelle du courtier en crédit français.

La victime de l’escroquerie a donc assigné en responsabilité le courtier en prêts immobiliers en ce qu’il a failli à son mandat en lui proposant une solution de financement plus que douteuse.

Sur le volet civil donc, le Tribunal Judiciaire de Versailles a suivi notre argumentation et constatant l’escroquerie a jugé qu'en ne procédant à aucune vérification sérieuse, la société de courtage en prêts immobiliers avait failli tant à ses obligations de conseil qu’à ses obligations résultant des dispositions du Code monétaire et financier.

La société de courtage en prêts immobiliers a ainsi été condamnée, sur le fondement de sa responsabilité contractuelle, à réparer les préjudices (matériel comme moral) subis par notre client.


Sans faire appel, la société de courtage ayant pignon sur rue et couverte par son assurance professionnelle a indemnisé sans difficulté notre client.


Jusqu’à cette jurisprudence, la responsabilité des courtiers en crédit était essentiellement limitée à leurs obligations de conseils et vérifications des capacités d’emprunts de leurs mandants, le législateur ayant surtout encadré leur activité avec l’objectif d’éviter le surendettement.


Par cette décision le Tribunal Judiciaire de Versailles renforce leur obligation de conseil et de vérification.